Le MermaidCore porteur des sujets sociétaux ?
Le mythe de la sirène semble avoir cette capacité à encapsuler les nouveaux mouvements sociétaux forts. La sirène représente tantôt une forme d’innocence et de bienveillance, tantôt, elle incarne l’archétype de l’ennemi, de la tentation. Mais elle est également un rêve de symbiose et de réconciliation entre deux mondes. Le Mermaidcore existe depuis longtemps, nous le verrons, mais la tendance navigue en eau profonde et revient de façon cyclique. Le live action de Disney a été le déclencheur de son retour ces derniers mois, révélant plusieurs facettes. Dans un premier temps, nous reviendrons sur l’origine de la Sirène et l’évolution de sa symbolique dans le temps. Puis, nous nous pencherons sur le décryptage du cru Mermaidcore 2023, pour comprendre en quoi il incarne plusieurs sujets sociétaux à la fois. Enfin, nous verrons pourquoi il paraît en réalité assez logique que la sirène revienne dans un monde actuellement en crise.
Origine des sirènes, un symbole mouvant entre démon et ange.
Dans cet article, nous faisons référence aux êtres mi-femme, mi-poisson qui viennent de la mythologie nordique et sont appelées Mermaid en anglais.
Les sirènes ont peuplé de nombreuses légendes et contes depuis des siècles dans le monde entier. Elles ont longtemps été perçues comme des créatures maléfiques (réputées sans âme), parfois monstrueuses. Les sorcières des mers, tentatrices, séductrices, faisant ainsi sombrer navires et marins. Avec le conte d’Andersen, elles incarnent l’archétype de l’amoureuse, en devenant des êtres romantiques, femme-enfant, naïves et touchantes, à la recherche du grand amour.
Aujourd’hui, l’archétype de la sirène appartient au monde de l’enfance. Sa représentation universelle contemporaine est celle donnée par Disney, jeune femme romantique dans un univers merveilleux. Car si Andersen est le premier à avoir introduit un imaginaire bienveillant autour de la sirène, la morale du conte est loin du « et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » raconté par le film d’animation.
Les sirènes sont présentes depuis longtemps dans l’univers du divertissement. La génération 80/90 se souviendra notamment de Splash, comédie romantique avec Daryl Hannah et Tom Hanks en 1984 proposant une version moderne de la petite sirène (sortie avant le Disney 1989).
Néanmoins, la culture populaire a toujours pris plaisir à jouer du mythe. On retrouve ainsi des interprétations variées dans des séries et des films fantastiques.
Généralement bienveillantes et colorées (Hook, Aquamarine, Bedtimestories), certaines représentations s’amusent à revenir à l’être aquatique, manipulateur, terrifiant, parfois dangereux (les séries Wednesday et Sirène sur Netflix ou dans Harry Potter).
D’autres s’emparent du fantastique et leur donnent des pouvoirs magiques (H2O Just Add Water, Charmed circa 2000) ou des versions futuristes comme les sirènes de Dark Angel qui sont des êtres génétiquement modifiés.
À ce stade, les interprétations varient plus ou moins, mais sont rarement porteuses de messages clairement affichés, bien que souvent le discours sous-jacent de la sirène soit la rencontre entre deux mondes. Récemment, des films ont utilisé des références plus éloignées, mais connexes aux sirènes, pour passer des messages plus engagés pour l’environnement ou l’inclusion : Aquaman, Avatar The Way Of Water, The Shape of Water de Guillermo Del Toro.
Dans un monde multi-crise, La sirène comme symbole multi-facette.
Le territoire de la sirène est en réalité déjà animé par certaines minorités. Son esthétisme fait écho à l’esthétisme Camp (voir ci-dessous), préempté par la communauté queer, qui partage un message d’inclusion. En parallèle, le mythe de la sirène fait écho à un besoin de réconfort en explorant un imaginaire innocent et enfantin, en faisant une sorte de valeur refuge dans un contexte incertain.
Mais il incarne de plus en plus un symbole fort des enjeux climatiques, les univers connexes aux sirènes portant déjà des revendications climatiques. À l’instar de ses imaginaires variés, la sirène commence à jouer un rôle d’ambassadrice aux multiples visages.
Ainsi, en une représentation, une symbolique, on retrouve une question très actuelle de notre société : comment affronter ensemble une crise qui semble insurmontable et garder l’espoir qu’un monde meilleur est possible ?
Les sirènes, d’égéries Camp à valeur refuge.
Le live action de Disney met aujourd’hui en lumière un symbole d’inclusion et de représentation qui a, en réalité, été depuis longtemps récupérer par les minorités. Et le tout récent documentaire Netflix MerPeople le montre bien à travers sa mise en lumière du Mermaiding*.
Le documentaire Netflix montre que l’activité de Mermaiding a largement été préemptée par la communauté queer et emprunte des codes Camp & Drag, à l’image des « Maisons de Drag Queen ». Une « drag house » dans la culture drag désigne un groupe ou une famille de drag queens qui travaillent ensemble et se soutiennent mutuellement. Elle est généralement dirigée par une « mère » qui est une figure respectée et expérimentée de la scène drag. On retrouve des « Maisons de sirènes » dirigées par des Mermaid queens, organisées en pods** (VS les houses). Les costumes, les noms de scène, la performance et la compétition sont aussi très présents. Ainsi le Mermaiding accueille des sirènes de tous horizons : sexualités, origines culturelles et sociales, corpulences, tout le monde peut faire partie du mouvement et exprimer son art à travers son costume et sa performance. C’est un « safespace » supplémentaire.
Le Camp est une esthétique de la communauté queer. Il est essentiellement basé sur l’ironie, l’humour et la théâtralité. Le mythe de la sirène rentre facilement dans ces différents piliers, notamment sous sa forme pailletée et performative. De plus, le retour de la tendance bling ne peut que favoriser la montée du Mermaidcore qui s’y adapte à la perfection. En effet, dans un contexte sociétal tendu, on sent des envies d’école buissonnière, abandonnant la sobriété pour le clinquant et l’extravagance. Les collections croisière 2023 traduisent bien la combinaison des deux tendances. Sans compter l’arrivée du très attendu film Barbie en juillet prochain qui va certainement réveiller le BarbieCore, or quoi de mieux qu’une fusion des deux univers ?
Par ailleurs, il est important de mentionner le Transgender Youth Network MermAids en Angleterre, un organisme soutenant les jeunes transexuels ou fluides qui ont récemment repris le symbole de la sirène pour représenter l’organisation. Ils y trouvent une belle allégorie à la capacité de se transformer, mais aussi l’absence d’organes sexuels clairs et définis.
La sirène, c’est aussi une envie d’évasion dans un autre monde, dans un ailleurs meilleur, plus doux et féerique, un monde où tout est possible.
La valeur refuge repose sur l’évasion et le réconfort qui est offert par l’univers lui-même. Il y a quelques années, le merchandising « mermaid cocooning » avait débarqué avec notamment les « tail covers », l’équivalent sirène des combinaisons de licornes.
La sirène, c’est aussi de la nostalgie, le réconfort du « c’était mieux avant », un retour aux années 80, désormais vues comme des décennies d’insouciance et de légèreté, une époque où l’on portait des barrettes papillon pailletées, des sequins et où les mannequins souriaient et dansaient sur les podiums.
Les sirènes, un symbole à venir des enjeux climatiques marins ?
Les univers aquatiques au sein du divertissement (tels que Aquaman ou le récent Avatar, The Way Of Water) ont tous été porteurs de messages environnementaux sur les années récentes. Ces derniers témoignent d’une fascination et d’un intérêt grandissants pour le spectacle féérique que représentent l’océan et l’envie de le préserver.
La participation de Netflix dans la mise en avant d’une communauté ou d’un centre d’intérêt joue un rôle important (à l’image de la série « Drive to Survive pour la F1). Netflix participe à la sensibilisation de ces enjeux à travers de plus en plus de documentaires, comme : Mission Bleue, Seaspiracy ou encore Chasing Coral.
La tendance MermaidCore… So what pour les marques ?
Bien que la résurgence du mythe de la sirène soit intéressant à intégrer dans une stratégie de contenu, elle abrite également des sujets de fonds (archétype de la jeune femme amoureuse, de la réunion de 2 mondes, symbole d’inclusivité et de causes environnementales…)
Dès lors, il semble nécessaire pour les marques d’aller au-delà de la simple exploitation de l’engouement pour l’environnement aquatique et les mythes associés.
En explorant ce centre d’intérêt dans les données social media, il est intéressant de noter deux points concernant le mermaiding :
- Tout d’abord, il existe des similarités démographiques et d’intérêt entre le public du free diving et le public discutant des sirènes.
- Deuxièmement, environ 6,5 % ou plus des personnes évoquant le free diving dans le monde manifestent un intérêt pour la cause climatique.
Pour aller plus loin…
… et réellement comprendre les enjeux derrière l’utilisation du mythe, l’Audience Insights et les études « Cultural Insights » sont un bon moyen pour appréhender la culture du Mermaiding et transformer cette connaissance en des actions concrètes à mettre en œuvre, en évitant le piège des campagnes perçues comme opportunistes (on pense notamment à Levis) et en adressant l’opportunité de connecter avec vos audiences de manière concrète, peut-être parfois de manière plus discrète, mais qui construiront une réputation solide pour la marque (on pense notamment au tapis de prière adidas).
*Mermaiding : littéralement faire la sirène. Art performatif réalisé sous l’eau en costume de sirène qui peut être réalisé en amateur ou de façon professionnelle.
**Pod : terme anglais pour banc on parle notamment de pod en anglais pour parler des bancs de mamiphères aquatiques comme le dauphin ou encore les orques.