Le Social Listening n’est plus une nouveauté pour les marques. Elles ont compris l’importance des médias sociaux, de la veille et de l’écoute à des fins marketing, communication ou commerciales. Mais la simple veille ne suffit plus. Il faut créer de l’intelligence, aider la prise de décision et favoriser la mise en place d’actions. La social data a un rôle important à jouer car elle peut initier, challenger ou permettre d’identifier des opportunités. D’autant que la social data est la donnée externe la plus vaste et riche en informations.
Les marques ont encore du mal à collecter, structurer et analyser les données issues des médias sociaux pour en tirer des insights et apporter de la valeur dans les organisations. Dans le cadre de nos missions, nous rencontrons des dirigeants, des responsables et des équipes qui travaillent, testent, améliorent et font avancer ce sujet dans leur entreprise ou dans le secteur de la Social Media Intelligence. C’est pourquoi nous initions aujourd’hui une série d’interviews d’acteurs du Social Listening et de la Social Media Intelligence, dans le but de partager avec vous des retours d’expérience.
Laurent Geffroy, directeur Social Data au Marketing Groupe d’Orange, a accepté de partager avec nous son expérience . Il revient notamment sur l’évolution du Social Listening, son intégration dans les processus marketing et sa démocratisation au sein des organisations.
Peux-tu nous présenter en quelques mots le rôle de la direction Social Data ?
La direction Social Data aide les filiales d’Orange à mieux exploiter la donnée sociale à des fins marketing. Cela peut être dans la phase conception comme l’amélioration des offres, des produits, des services en continu, réfléchir aux opportunités de lancement de produits ; ou dans la phase qui survient après la conception comme l’amélioration en continu ou intervention lorsqu’il y a un problème (une gestion de crise par exemple).
La direction Social Data utilise des outils de Social Listening et a construit le Data Studio pour accomplir cette mission. Le Data Studio est un lieu de travail où les équipes Social Data effectuent des analyses et des études à partir des données sociales. La direction Social Data a la maîtrise sur l’ensemble de la chaîne de traitement de la donnée sociale : la collecte, le nettoyage, l’analyse, la publication et le partage qui s’effectue sur le Social Wall d’Orange.
Quel est ton avis sur le futur du Social Listening, mais également le futur du Social Listening en lien avec le futur du Marketing ? Sont-ils liés, selon toi ?
Oui, c’est intimement lié. On considère que le Social Listening est une source d’insights marketing, au même titre que les études classiques quantitatives, qualitatives.
Soit cela permet d’aller très vite : on n’a pas le temps de lancer une étude et le Social Listening va permettre de prendre le pouls. Ce qu’on a constaté en interne, par rapport aux études quantitatives que l’on a pu faire par ailleurs, c’est que le Social Listening vient plutôt conforter ce qu’on a vu dans les études. Donc on se dit, le jour où on a pas le temps de faire des études ou pas le moyen de faire des études quantitatives classiques, du Social Listening bien fait doit nous permettre en peu de temps d’avoir des conclusions similaires. Pas forcément les mêmes conclusions, mais des conclusions similaires. C’est un gain de temps potentiel par rapport aux études quantitatives, même si ça ne viendra jamais les remplacer, c’est un complément très intéressant. Ensuite, c’est une source d’insights, de signaux faibles, qu’une étude qualitative ou quantitative aurait eu beaucoup de mal ou même n’aurait pas pu identifier.
Pour illustrer avec un exemple, l’année dernière, il y a eu une nouvelle directive sur la fin des frais d’itinérance en Europe. C’était une directive imposée par la Commission de l’Union Européenne. Votre forfait internet local, vous pouvez l’utiliser maintenant dans toute l’Europe, il vous est décompté comme si vous étiez en France. Cela a été lancé en juin 2018, c’est une obligation pour tous les opérateurs européens et c’est une très bonne chose pour tous les consommateurs. C’est un sujet sur lequel nous nous posions beaucoup de questions : avant le lancement de cette directive, est-ce que les consommateurs avaient bien compris ce qui allait arriver ? Et est-ce qu’il fallait que nous fassions de la communication sur ces sujets là ? Via le Social Listening, on s’est très vite rendu compte finalement qu’il y avait pas vraiment de questions sur ces sujets parce que les magazines consommateurs et les médias nationaux avaient bien communiquer dessus. C’était bien annoncé et c’était bien compris. En revanche, grâce au Social Listening, il y a des signaux faibles qui sont apparus et qu’on aurait probablement jamais identifié parce que ce n’est pas suffisamment problématique pour que les clients prennent leur téléphone et appellent le service client. Je m’explique : quand ils arrivaient dans certains pays, comme en Italie où Orange n’est pas présent, on leur proposait de choisir 3 opérateurs. Donc ça générait des questions de la part de l’utilisateur. Est-ce qu’il y a des différences de prix ? Comment choisir le bon opérateur ? Cela n’était pas bien expliqué dans le SMS d’activation.
Pour moi, c’est un exemple typique de signaux faibles issues des médias sociaux qui est très utile. Si on avait fait une étude quantitative, ça ne serait jamais remonté et si on avait interrogé les problèmes des services clients ça ne serait jamais remonté non plus, car ce n’était pas une problématique qui générait du volume. À l’inverse si on avait fait des groupes qualitatifs, cela n’aurait probablement jamais émergé. Donc ça c’est les signaux faibles — et des exemples comme ça j’en ai plein — qui font qu’on sait que l’on va pouvoir améliorer à la marge l’expérience client. Dans ce cas précis, on a rédigé le SMS différemment, sur le site internet on explique que c’est normal etc., et ces toutes petites choses, qui permettent d’améliorer l’expérience client, mises bout à bout font du bon marketing.
Dans un deuxième temps, sur la partie vraiment marketing, ce qu’on essaye de faire chez Orange, c’est d’intégrer systématiquement une phase Social Listening en plus des études classiques avant le lancement d’un produit, offre ou service. Et donc pour moi, cela rentre dans un processus marketing classique. Sur le lancement d’un produit ou d’une offre, c’est évident que l’on va regarder si ça a bien marché, quel a été l’écho médiatique, quel a été l’écho auprès des utilisateurs au moment du lancement. Selon moi, le Social Listening sert à tous les niveaux dans l’intégralité du processus marketing : la conception, le lancement et la vie continue du produit. On ne le fait pas encore systématiquement, mais c’est notre cible d’intégrer le Social Listening à tous les niveaux. Il faut qu’à chaque étape d’un processus marketing quelqu’il soit, il y ait un réflexe Social Listening. Il faut que ça devienne une habitude. Pour cela, il y a un enjeu de démocratisation très fort. Chez Orange, c’est 4 000 à 5 000 personnes marketers et communicants, mais au-delà du marketing, cela peut servir potentiellement tous les métiers !
Pour refaire très brièvement l’histoire du Social Listening dans les entreprises :
- il y a 10-15 ans c’était la direction de la communication qui faisait du Social Listening
- il y a 5-10 ans c’était les services clients. Il fallait des outils pour écouter les réseaux sociaux
- Depuis 5 ans, c’est le marketing.
Mais ensuite tous les métiers, comme la logistique, le réseau, ont potentiellement un intérêt à utiliser ces outils là. Parce qu’il peut se dire des choses sur leur sujet. Peut-être pas dans les mêmes volumes, mais il peut se dire des choses sur leurs sujets. Donc c’est un peu comme ça que je vois l’avenir du Social Listening. C’est ce que disent les fournisseurs de solutions d’ailleurs, eux ils ont vocation à aider toutes les directions.
Que penses-tu de la différence entre les études classiques et le Social Listening ? Les études classiques sont-elles satisfaisantes ou vont-elles évoluer ?
Cela reste un débat. Il y a nous ce qu’on fait en interne, et puis il y a la manière dont les instituts d’études ou les pure players comme vous proposent leurs services. En interne, on a été un peu long au démarrage car il y a longtemps eu une opposition — pour des mauvaises raisons — entre études classiques et Social Listening. Par la force des choses, les personnes en interne qui venaient plutôt du monde des études classiques ont bien vu que de toute façon, le monde évoluait et qu’il n’y avait plus trop le choix de faire du Social Listening.
D’abord parce que leurs homologues d’autres grands groupes intégraient le Social Listening dans leurs études. Et puis car les fournisseurs d’études traditionnelles (Kantar, Ipsos…) intégraient avec plus ou moins de succès le Social Listening dans leurs études. Donc soit en complément d’études traditionnelles, soit en études pure Social Listening (pour des raisons méthodologiques, pour aller vite ou parce que c’est moins coûteux). Et donc ce qu’on observe en interne et en externe chez les acteurs traditionnels d’études de marché, avec plus ou moins de succès, soit ils ont recruté à tour de bras des équipes, soient ils ont racheté des boîtes. Ipsos a racheté Synthesio, on pourrait multiplier les exemples. Et puis à côté de cela, parce que les instituts d’études n’allaient pas assez vite je pense, et n’étaient pas forcément très pertinent dans leur niveau de réponse et bien il y a eu des acteurs — et tant mieux — qui sont apparus comme Digital Insighters. Des gens qui viennent pas forcément du logiciel mais du service, et à l’inverse des gens qui viennent du logiciel qui se sont dotés de compétences études fortes en recrutant. C’est donc des mondes qui sont en train de converger assez vite.
Sur le futur des études, je pense qu’il y a de la place pour tout le monde. Les acteurs traditionnels ont enfin compris que c’était une source d’insights importante. Et puis, il y a des acteurs pure players et très agiles qui exploitent la donnée sociale et donc qui apportent des niveaux de réponses en coûts, en délais qui sont sans commune mesure. Pour moi les deux ne sont pas antinomiques, les deux peuvent cohabiter.
Quels sont les freins qui empêchent la démocratisation du Social Listening ?
Il y a deux freins.
Premier frein, il faut que l’utilisateur dans l’entreprise comprenne le bénéfice qu’il peut tirer d’un outil de Social Listening. Pour un chef de produit par exemple, il faut multiplier les exemples pour qu’il comprenne que sur son produit, il va récupérer des insights rapidement et de qualité, en continu. Il faut l’informer et le rassurer. Il faut qu’il comprenne qu’il va pouvoir améliorer des choses grâce au Social Listening.
Le deuxième frein c’est l’utilisateur face à l’outil. Il faut que ce soit extrêmement simple d’accès et d’utilisation. Il y a eu des progrès à ce niveau : les outils se sont tous dotés d’un Search comme Google, et les technologies d’IA qui aident à filtrer les publications sont très importantes. Même s’il a pas fait une recherche booléenne complexe parce que ce n’est pas son travail, il faut que l’utilisateur puisse très vite dire : ce message est pertinent et puis celui là ne l’est pas, et que l’IA derrière leur montre uniquement les messages pertinents. La sanction est très forte c’est-à-dire que, s’ils trouvent que l’outil est trop complexe, si les 15 messages qu’il a lu en premier n’ont rien à voir ou peu à voir avec son sujet, et bien il y a un rejet et il se dit que ce n’est pas pertinent.
Il faut qu’il y ait un bénéfice immédiat et tangible.
Ces freins resteront pendant longtemps, selon toi ?
Oui, il y a encore du boulot. Sur la partie expérience utilisateur, certains outils ont bien identifié que c’était un frein et ont fait un effort important. Je pense que tous les outils vont faire un effort important à ce sujet. Sur la partie bénéfice tangible, ce n’est pas évident. Ce qui est bien aussi dans certains outils, c’est qu’ils se sont mis vraiment à la place de différents métiers et de différentes situations : problème de gestion de crise, bilan post-campagne, prendre des insights en continu, comprendre les réactions à un communiqué de presse… il y a cet aspect cas d’usage, métiers pré-mâché, prédéfini que je trouve très malin, qui est une bonne manière de lever les freins. C’est-à-dire qu’un utilisateur va comprendre tout de suite les bénéfices qu’il pourra avoir sur son métier.
Merci à Laurent Geffroy d’avoir répondu à nos questions !
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