Soutenir les minorités au-delà de leur représentation, la dernière campagne Calvin Klein, pour la fête des Mères, voit les premiers signaux faibles autour de demandes d’implication plus concrètes pour la communauté LGBT +.
Le 12 mai dernier, Calvin Klein publie sur Instagram sa nouvelle campagne avec pour objectif de célébrer les mères et les familles, sous toutes leurs formes. Il s’agissait en l’occurrence d’un post avec plusieurs photos représentant différentes mères. La quatrième photo est un portrait de @roberto_bete, homme transgenre enceint et sa partenaire @erikafeeh.
Cette campagne inclusive, globalement saluée par les fans de la marque et la communauté LGBT+, a cependant généré des critiques au sein de communautés conservatrices. On a pu voir des appels au boycott, des discours pro-life et anti-mariage pour tous ainsi que des insultes transphobes notamment. Ces attaques ont largement concentré l’attention des médias avec plusieurs articles revenant sur la controverse suscitée, les enjeux de la campagne et la réaction de Calvin Klein aux commentaires virulents.
“We embrace this platform as an inclusive and respectful environment for individualism and self-expression. At Calvin Klein, we tolerate everything except intolerance— any intolerant commentary will be removed, and any accounts issuing hateful statements may be blocked. We look forward to continuing a positive and inclusive dialogue in partnership with our community.”
Si la marque a très vite réagi en défendant la liberté et l’inclusion, elle ne semble pas avoir adressé les critiques dénonçant un positionnement jugé contradictoire. Alors que depuis plusieurs années, elle travaille sur le sujet de l’inclusivité (beaucoup à travers ses campagnes) il semble qu’elle soit mise au défi de démontrer la candeur et la sincérité de son engagement.
Une levée de boucliers en petit nombre… mais amplifiée par les médias
Nombreux sont les articles à avoir partagé les appels au boycott et les remarques transphobes. En effet, la photo du couple a très vite suscité des réactions virulentes de la part de l’audience, mais aussi de certains médias ou personnalité influents.es, notamment aux États-Unis. Nous avons pu voir des réactions de Nick Adams, Steven Crowder, Breitbart ou Fox News. Ce dernier a d’ailleurs utilisé la campagne comme arguments sarcastiques lors de leurs revues politiques et plus particulièrement le sujet des pénuries de formules pour bébés.
Au global, un impact très positif pour Calvin Klein.
Un faible volume pour une forte visibilité
Néanmoins, la reprise par des médias mainstream influents en font un sujet viral qui a touché une large population, rendant le sujet très visible, relançant des débats et des réflexions de fond.
En effet, la majeure partie des articles relatant les faits se sont placés en soutien de la campagne, en saluant l’initiative. On note plus particulièrement l’interview de Dr. D Ojeda, (senior national organizer at the National Center for Transgender Equality) qui salue l’initiative de Calvin Klein, remerciant la marque de rendre visible la possibilité de créer une famille pour la communauté Trans et ainsi de soulever la question du système de santé.
La communauté LGBT+ visible et engagée
Nous observons également des réactions plus ambivalentes soulignant certains questionnements de la part du public indiquant que Calvin Klein semble avoir réussi à amener un sujet tabou sur la table en générant certes du débat, mais aussi en apportant de la visibilité et une plateforme d’expression pour la communauté qui lui en est reconnaissante.
En outre, la cible de Calvin Klein a elle majoritairement exprimé un fort enthousiasme autour de la campagne. Les données accessibles nous permettent de voir que la campagne a engagé plus fortement les personnes indiquant leur expression de genre comme non-binaires.
Aussi, les commentaires au post Instagram et les partages sur Twitter sont majoritairement positifs. On observe de nombreux émojis positifs exprimant la gratitude, les applaudissements, des cœurs, montrant que la communauté LGBT+ (ici plus particulièrement Trans) apprécie fortement l’initiative.
La majeure partie de la communauté salue l’initiative, remerciant la marque d’offrir un plus large éventail de représentation, ce qui en fait une vraie réussite pour la marque à quelques semaines du Pride Month.
Tout ceci nous dit deux choses sur la réussite pour Calvin Klein
La première, que les attaques viennent majoritairement de communautés que la marque ne cible pas et ne souhaite pas cibler, au vu du positionnement de ses campagnes.
La seconde, que l’objectif d’engager et de fédérer la communauté LGBT + est atteint et a permis aussi de donner de la visibilité à des questions fondamentales pour la communauté dans les débats mainstreams.
Des signaux faibles à ne pas négliger.
Quand nous nous penchons dans le détail des commentaires, nous observons certains signaux faibles. Quelques commentaires, venant eux de la communauté LGBT+, à minima d’internautes LGBT+ friendly, pointent du doigt des contradictions entre les valeurs affichées de Calvin Klein et ses actions en tant que marque, sous-entendant que la marque fait du Pinkwashing.
Nous observons donc 3 catégories majeures de critiques
1. Le manque d’engagement poussé pour les droits LGBTQIA+
2. Le manque d’éthique relatif au droit du travail et à l’exploitation de la main-d’œuvre
“On further inspection, the company’s manufacturing is, in part, in countries where it’s illegal to be LGBT+ – like Sri Lanka, Tunisia and Bangladesh – instead of taking a stance with LGBT+ rights and halting production in those places.”
3. Utilisation de la communauté pour son profit sans réellement s’investir pour la communauté de façon concrète et suivie.
“Does the lgbtq community enjoy being a marketing tool to attempt to make corporations richer, when ordinary folk just aren’t interested in this and will stop buying their products? I doubt they will be publishing this advert in the Middle East.”
À noter également que la marque s’est faite « épinglée » l’année dernière pour son hashtag #Prideinmycalvin, jugé comme une façon de faire de la pub de manière opportuniste. La marque a pris soin de ne pas utiliser de hashtag « floqué » cette année. Toutefois, début juin, pour célébrer le Pride Month, elle lance une campagne autour de la Famille choisie « This is Love » avec une collection de vêtements et sous-vêtements dédiés. En 2019, elle avait aussi été attaquée pour pinkwashing et mésappropriation de la culture LGBT+ pour sa campagne avec Bella Hadid et l’influenceuse virtuelle Lil Miquella.
Il est évident qu’aujourd’hui le travail de représentation des minorités fait débat. Lorsque les campagnes sont saluées, nous observons une expression d’attentes plus profondes de la part des consommateurs. Des minorités qui se battent depuis plusieurs décennies ne veulent plus avoir à se contenter de représentation qu’elles considèrent comme vide de sens si elles ne sont pas complétées par des actions concrètes et des valeurs affichées. La seule représentation est alors perçue comme une façade marketing.
Les minorités exigent aujourd’hui des marques qu’elles agissent contre les inégalités et discriminations. Elles attendent des marques de ne jamais participer à les renforcer « même indirectement ». Elles veulent voir une réelle déconstruction en profondeur allant de l’image de marque à la chaîne de production.
“While I always celebrate companies making ads and increasing the visibility of LGBT+ people, I often feel like brands need to do more. They have incredible power and influence, and they can use it to be allies to our community.”
La communauté afro-américaine, par exemple, interpelle déjà les marques (entre autres) dans ce sens avec les messages : “Put your money where your mouth is“ ou encore le mouvement “Black dollars : buy black“.
“It’s more important than ever that companies make a stand for trans inclusion, and put their money where their mouth is. Otherwise it will be little but lip service, where they use our community to make themselves look better, without actually supporting the community in a meaningful way.”
Aujourd’hui, Calvin Klein est majoritairement saluée pour son initiative. La marque est depuis plusieurs années attachée aux représentations inclusives. Mais nous voyons déjà arriver quelques commentaires pointant des actions allant au-delà de la représentation.
À mesure que notre société évolue, les communautés et les consommateurs de façon plus générale demanderont aux marques de s’engager clairement, ouvertement et concrètement et de travailler à la déconstruction du système fondateur des inégalités. Ces signaux faibles ne sont donc pas anodins et montrent bien que si la représentation est la première étape pour donner de la visibilité positive, pour les consommateurs, elle ne pourra pas être l’unique engagement des marques.
En conclusion, quel impact pour Calvin Klein dans cet exemple ?
Nous l’avons vu, de façon globale, la marque prend position depuis plusieurs années, valorisant des valeurs progressistes. Ses détracteurs, plutôt conservateurs, ne font pas partie de sa cible marketing ni de la majeure partie de ses consommateurs acquis.
De plus, la marque a été majoritairement saluée par les consommateurs à qui elle souhaitait s’adresser, à savoir la communauté LGBT +, et réussie également à sensibiliser et à apporter de la visibiliser à une communauté.
Néanmoins, ces signaux faibles sont des insights forts pour Calvin Klein et pour toute autre marque. Si nous prenons de la hauteur, c’est un discours qui tend à devenir une attente grandissante d’une partie des consommateurs. C’est donc un enseignement précieux pour les marques, des clés de lectures livrées par une partie des consommateurs tout en révélant également une fracture croissante des opinions. Si les marques savent s’en saisir, elles pourront aller plus loin dans l’élaboration de stratégies à la fois porteuse de sens et gagnantes, un équilibre en somme.