Les idées technologiques les plus révolutionnaires commencent souvent par être des “buzzwords” avant d’être cohérentes et articulées. Le nouveau jargon semble sorti de nulle part, et il devient vite sur-utilisé malgré son manque d’explication ; on peut penser à l’Internet des objets, au cloud… Certains de ces concepts pérennes sont ensuite acceptés et intégrés à la vie quotidienne comme s’ils avaient toujours existé. A l’image d’Internet il y a 30 ans, le métaverse pourrait drastiquement changer le monde et ses possibilités. Mais qu’est-ce que le métaverse ?

 

Contexte historique et définition

L’idée trouve sa source dans la science-fiction. Neil Gibson imagine dans son livre Neuromancer des hackers errant dans une réalité virtuelle, mais c’est Neil Stephenson qui emploie pour la première fois le terme dans Samouraï Virtuel. Matthew Ball, investisseur en capital-risque canadien et partisan des métaverses, en a conceptualisé les frontières de la façon suivante. 

Un métaverse est un monde qui :

 

  • Est persistent. Il ne s’arrête jamais, ne redémarre pas, ne se met jamais en pause.
  • Est synchrone. Tous les événements se déroulent au même moment pour tous les participants.
  • Est interactif. On y trouve des contenus et des expériences créés par des individus ou des organisations, pour d’autres individus.
  • Possède une économie fonctionnelle. Cela assure la propriété privée et la rémunération des créateurs in-game. 
  • Respecte l’interopérabilité. Il s’agit d’un système capable d’assurer le bon fonctionnement et la compatibilité des produits d’un univers virtuel à un autre.
  • Utilise des avatars numériques. C’est le principal moyen d’interaction.
Il ne s’agit cependant pas de :

 

  • Un monde virtuel. Les mondes virtuels et les jeux avec des personnages non-joueurs basés sur une IA simple existent depuis des décennies, tout comme ceux peuplés de joueurs « réels ». Il s’agit juste d’un univers synthétique et fictif conçu dans le seul but de jouer.
  • Une réalité virtuelle. La réalité virtuelle est une façon d’expérimenter un monde ou un espace virtuel. La sensation de présence dans ce monde virtuel n’en fait pas pour autant un métaverse.
  • Un jeu vidéo.
  • Une économie virtuelle. Ces dernières existent déjà dans de nombreux jeux
  • Un parc d’attractions virtuel
  • Une nouvelle boutique d’applications.

En synthèse

Le métaverse est un espace collectif virtuel partagé, créé par la convergence de la réalité physique virtuellement améliorée et de l’espace virtuel physiquement persistant, y compris la somme de tous les mondes virtuels, la réalité augmentée et Internet.

Analyse des mondes virtuels existants

Au vu de la définition établie, peut-on considérer qu’il existe déjà des métaverses ?
Fortnite
Roblox
Fortnite, le colosse de l’industrie du jeu vidéo créé par Epic Games, est souvent considéré comme un métaverse. En effet, le jeu, qui n’était au départ qu’un battle royale, accueille désormais des concerts virtuels avec des supers stars comme Travis Scott (12 millions de spectateurs dans le jeu) et le DJ Marshmello (10,7 millions de spectateurs). Via le mode créatif, Fortnite permet aux joueurs de créer et de partager leurs propres univers et mini-jeux. Ils peuvent aussi interagir avec leur entourage grâce à leurs avatars virtuels. Pourtant, la liberté créative est contrainte, car les joueurs sont limités aux actions prédéterminées par Epic Games.

Roblox, la plateforme de jeu en ligne permet aux utilisateurs de créer leurs propres jeux vidéo (qui rivalisent parfois avec la portée et la qualité des jeux créés par les plus grands éditeurs de l’industrie). Ces mini-jeux peuvent assurer une rémunération aux créateurs, en rendant payant l’accès au jeu, ou les skins servant à personnaliser les avatars. Ainsi, un sac virtuel Gucci a été revendu plus de 4 000 dollars, rendant la version numérique plus chère que la version physique. 

Roblox semble donc cocher la majorité des cases afin de correspondre à un métaverse. Des caractéristiques manquent pourtant aux deux plateformes. Tout d’abord, aucun des assets virtuels présents dans ces univers n’appartient réellement aux utilisateurs. De plus, l’interopérabilité n’est pas prise en compte.

Limites technologiques

Les exemples cités ci-dessus sont donc centralisés : une seule entité contrôle le fonctionnement total du métaverse. Si Roblox Co. ou Epic Games décide de modifier les règles fondamentales de leurs plateformes, les utilisateurs ne pourront rien y faire. 

L’interopérabilité est aussi un point de friction. En effet, le métaverse ne désigne pas simplement l’espace virtuel en lui-même, mais plutôt les liens tissés entre ces différents univers. C’est la possibilité de créer une connexion entre les espaces, pour qu’un achat virtuel effectué sur une plateforme puisse suivre le joueur dans d’autres mondes virtuels. Le métaverse est ainsi aux univers virtuels ce que le Web est aux sites Internet. Cet élément clé manque aux exemples ci-dessus. 

La blockchain telle qu’utilisée par les crypto-monnaies pourrait permettre de parvenir à une véritable interopérabilité, et assurer la décentralisation. C’est d’ailleurs le pari de Decentraland. Il s’agit d’un métaverse construit sur la technologie du blockchain (qui alimente notamment le Bitcoin et l’Ethereum), lui permettant d’être entièrement décentralisé. Aucune entité supérieure ne peut modifier fondamentalement les règles de cet univers virtuel et de son économie. Dans Decentraland, les utilisateurs peuvent créer des scènes et des expériences pour les autres, comme des concerts et des expositions. La MANA, crypto-monnaie utilisée dans Decentraland, sert aussi de salaire aux croupiers des casinos dans lesquels les joueurs peuvent aussi parier leur coins. Il existe aussi un système de contrats fonciers permettant d’acheter des parcelles du monde virtuel.

Limites humaines

Bien que les limites technologiques semblent contournables, il faudrait un temps d’acculturation au métaverse de la part du grand public. Malgré une augmentation du nombre d’utilisateurs depuis 2019, moins de 20% des Américains ont acheté ou essayé un équipement de réalité virtuelle, accessoire incontournable de l’expérience. Les métaverses seront aussi confrontés à la méfiance des utilisateurs : leur principe repose sur une identité unique et transférable dans différents espaces et univers virtuels. Or les internautes sont de plus en plus réticents à l’utilisation et au croisement de leurs données. Le RGPD appliqué en Europe a aussi renforcé la vigilance des utilisateurs d’Internet vis-à-vis de l’exploitation de données.

Ailleurs dans le monde, les internautes moins frileux ont pourtant déjà adopté les supers-apps. Ces applications très complètes combinent de nombreux services et s’élèvent au rang de proto-métaverses. WeChat, très populaire en Chine, en est le parfait exemple : le service de messagerie instantanée s’est enrichi de mini-programmes qui permettent aux utilisateurs de commander un taxi, prendre un rendez-vous médical, payer un achat en ligne ou en physique… Le tout sans sortir de l’application.

Conclusion

Les métaverses arrivent donc à grands pas mais quelques freins subsistent.

En effet, la puissance des serveurs ne permet pas d’assurer la stabilité d’un monde virtuel dans lequel des milliers (voire des millions) d’avatars pourraient se retrouver et interagir simultanément. Pour le moment, les capacités techniques des serveurs contraignent les plateformes à séparer les joueurs dans des rooms pour optimiser l’expérience, limitant ainsi le nombre d’interactions possibles.

Le grand saut dans les métaverses ne se fera pas en une fois. Il ne s’agira pas d’une grande rupture disruptive, mais de petites avancées et mutations technologiques qui trouvent déjà leur place dans notre quotidien.