La controverse qui implique Activision-Blizzard a pris une tournure inattendue en novembre dernier, puisque trois de ses principaux partenaires lui ont tourné le dos. La réaction du public a été majoritairement positive mais un nuage de doute sur les ramifications concrètes de ces événements plane sur le secteur du jeu vidéo.

Activision-Blizzard est sous haute surveillance depuis l’été 2021

Le 20 juillet 2021, le California Department of Fair Employment and Housing dépose une plainte contre Activision-Blizzard pour discrimination et harcèlement sexuel à l’encontre des femmes sur le lieu de travail. La société a nié les accusations en les qualifiant de « déformées et fausses » et son PDG, Bobby Kotick, a déclaré ne pas être au courant de ces problèmes. Depuis lors, de grands changements auraient été opérés au sein de l’entreprise : des employés haut placés ont été licenciés pour mauvaise conduite, des chefs de service ont quitté leur poste et des comités internes ont été formés pour tenter d’apporter un changement durable à la culture de l’entreprise.

Ceci nous amène à novembre 2021 et à la publication de l’article du Wall Street Journal révélant plus de détails sur le harcèlement, la discrimination et l’intimidation au sein de l’entreprise. On y apprend notamment que le PDG Bobby Kotick était au courant de tous les problèmes de harcèlement, qu’il est personnellement intervenu dans une enquête interne et qu’il a menacé de mort son assistant(e).

Les événements ont pris une tournure inattendue

La réaction du public à ces révélations a été exactement celle à laquelle on pouvait s’attendre : mauvaise. Par la suite, les événements ont pris une tournure plus intense. Les 3 PDGs des 3 plus grandes sociétés de jeux vidéo (et des 3 principaux fabricants de consoles) sont venus dénoncer les pratiques d’Activision.

Voici une rapide chronologie :

  • 16 novembre 2021 : publication de l’article du Wall Street Journal.
  • 17 novembre 2021 : Le président-directeur général de Sony Interactive Entertainment, Jim Ryan, adresse un email interne à tous les employés de PlayStation pour leur dire qu’il est « découragé et franchement stupéfait » par les nouvelles révélations qui ont été faites. L’email est immédiatement divulgué au public.
  • 18 novembre 2021 : Phil Spencer de Xbox a envoyé un email à son personnel condamnant les actions d’Activision et disant que « Ce type de comportement n’a pas sa place dans notre industrie« . Il est allé jusqu’à dire que Xbox et Microsoft feraient des « ajustements proactifs continus » dans leur relation avec Activision-Blizzard. L’email a rapidement été divulgué au public.
  • 23 novembre 2021 : Doug Bowser, président de Nintendo USA, a trouvé « ces comptes affligeants et dérangeants« . Il poursuit en disant que le personnel de Nintendo a été « en contact avec Activision » et a pris des dispositions (sans préciser lesquelles).

Trois géants du jeu vidéo tournent le dos à l’un de leurs principaux partenaires.

Cela est très inhabituel, c’est sans précédent. Les trois géants du jeu vidéo que sont Sony Entertainment, Xbox et Nintendo, tournent le dos à l’un de leurs principaux partenaires. Le plus surprenant dans cette liste est PlayStation, de part l’accord d’exclusivité avec Activision concernant la franchise Call of Duty (les joueurs de CoD sur PlayStation obtiennent régulièrement du contenu exclusif auxquels n’ont pas accès les joueurs des autres plateformes). Ils ont été les premiers à prendre position sur le sujet.

Les Big Three ont décidé de préserver leur réputation en prenant publiquement position contre les pratiques discriminatoires d’Activision-Blizzard. Ils envoient un message fort à leurs clients et au public en général.

Les Big Three ont-ils réussi leur communication ? Jetons un coup d’œil aux chiffres

Activision blizzard mentions over time

Avec une moyenne de 12 000 mentions au cours des 30 derniers jours, nous pouvons constater à quels moments les mentions sont montées en flèche.

  1. La période du 16 au 20 novembre est liée à la publication de l’article et à la prise de position des PDG de PlayStation et Xbox sur la question.
  2. Le deuxième pic, qui est beaucoup plus élevé que le premier, est associé à l’email interne de Doug Bowser. Comme nous pouvons le constater, la prise de position de Nintendo a provoqué un nombre beaucoup plus important de réactions, car il est vraiment inhabituel de la part de Nintendo de s’impliquer dans ce type de controverses.

Sur ces 12 000 mentions, nous avons retenu celles provenant de Twitter (~8 000 tweets) et avons réparti les auteurs uniques en groupes d’affinité qui nous ont permis de mieux comprendre les communautés derrière les mentions. Voici ce que nous avons trouvé :

Des réactions positives avec un soupçon de doute

Les réactions ont été majoritairement positives, les gens étant agréablement surpris par la tournure des événements. Ils espèrent que cela provoquera un changement dans le monde du jeu vidéo. Le public a également été surpris par la fermeté de la déclaration de M. Spencer.

3 PDG des principaux constructeurs de consoles de jeux videos
Okie Dokie about Activision
Spencer - firmly worded about Activision

Bien que les internautes aient été heureux de voir leurs marques de jeux vidéo préférées prendre position, beaucoup se demandaient si des mesures concrètes seraient prises à l’avenir, comme le retrait temporaire des jeux d’Activision des stores respectifs ou un boycott total de leurs jeux. Certains ont déclaré que si rien de concret ne suivrait ces déclarations audacieuses, une réelle opportunité de changement au sein de l’industrie du jeu allait être perdue.

Kotick needs to go about Activision
Proper Stance

Nombreux sont ceux qui y ont vu un moyen pour les Big Three de se couvrir, sachant qu’ils sont eux-mêmes coupables des mêmes pratiques discriminatoires. Prendre position leur permettrait d’encaisser le coup et de régler rétroactivement les futurs problèmes de ce type. Par un ironique coup du sort, c’est exactement ce qui s’est passé. Le 23 novembre, exactement six jours après le discours de Jim Ryan, PlayStation a fait l’objet d’un procès pour discrimination sexuelle de la part de l’un de ses anciens employés.

PlayStation Lawsuit headline
Relieved its not just us Activision
PS Allegation reaction

L’impact sur les consommateurs est négligeable (pour l’instant)

La position des Big Three sur la question a-t-elle influencé les décisions des joueurs et des créateurs de contenu quant à l’achat ou à la création de contenu pour les jeux d’Activision ? C’est difficile à dire.

Certains internautes espéraient que cela déclencherait une réaction importante et que le public commenceraient à abandonner les jeux de ces géants, comme l’ont fait certains créateurs l’été suivant la première série de révélations.

Content Creators

En effet, le jeu phare de Blizzard, World of Warcraft, connaît un déclin constant de sa base de joueurs depuis des mois, mais ce déclin est principalement lié à des problèmes dans le jeu et à des problèmes liés aux derniers updates. La controverse n’aide pas mais il est peu probable qu’elle soit le facteur principal de cette baisse des chiffres.

World of Warcraft numbers drop

Des résultats récents ont également révélé que les dernières ventes de Call of Duty n’ont pas été au rendez-vous comparé aux versions précédentes qui ont battu des records. Une étude réalisée par GamesIndustry.biz a permis de comprendre pourquoi le dernier numéro de CoD n’a pas été aussi populaire.

GameIndustry biz Call of Duty study

Les principales raisons sont l’abondance de jeux (il y a trop de Call of Duty), et une aversion pour l’univers de la Seconde Guerre mondiale. La controverse ne représente que 6 % de l’ensemble raisons négatives, un chiffre faible mais qui pourrait potentiellement augmenter.

Cela va dans le sens de la répartition des communautés que nous avons présentée précédemment. Aucune communauté centrée sur CoD ne s’est exprimée sur le sujet, ce qui signifie probablement que les fans de Call of Duty s’en moquent ou choisissent de ne pas exprimer leur opinion sur le sujet.

Le moment #MeToo de l’industrie du jeu vidéo

L’industrie du jeu vit son propre moment #MeToo avec de plus en plus de révélations de cultures d’entreprise toxiques systématiques, Activision-Blizzard étant la dernière d’une longue série de coupables.
Les événements récents ont montré que l’industrie du jeu commence à prêter davantage attention à la réputation de ses partenaires. C’est du moins ce qu’il semble. L’avenir nous dira si les trois grands du jeu video feront suivre leurs paroles d’actions concrètes, ce qui créera un précédent pour le reste du secteur.