Après une première interview réalisée avec Laurent Geffroy, nous continuons notre série d’interviews pour avoir l’opinion d’experts en digital qui utilisent régulièrement le Social Listening. Geoffrey Boulakia est le General Manager EMEA de TSC, une agence digitale appartenant au groupe français Sitel. Avec les formats d’interactions qui sont très différents et plus nombreux aujourd’hui qu’il y a encore quelques années, TSC s’est spécialisé dans les conversations entre les marques et les consommateurs. L’agence va encore plus loin que le marketing conversationnel et fait ce que Geoffrey Boulakia appelle du « business conversationnel ». L’objectif principal de l’agence est de faire du conversationnel un nouveau format d’interaction au service du business.
Dans notre entretien, Geoffrey Boulakia nous raconte pourquoi il estime que le marché du Social Listening en France est faussement mature, comment il envisage le futur du Social Listening et s’exprime sur un des grands enjeux qui arrivent : la convergence des différentes données.
Sur le marché en France, où est-ce que tu situes la maturité du Social Listening dans les entreprises ?
Je dirais que les grands comptes sont plutôt matures, ils se sont majoritairement équipés chez les éditeurs. Chez les plus petites marques, le Social Listening n’est pas présent car l’installation d’un outil est coûteuse. Je dirais que c’est « une practice » assez mature dans la connaissance et l’existence du système, les acteurs, les besoins… A l’inverse ce n’est pas assez mature dans l’exploitation. Je pense qu’aujourd’hui, le Social Listening est beaucoup utilisé pour faire de l’alerting et des rapports annuels, mais l’utilisation n’est pas continue ou pas approfondie. Soit l’usage est très ponctuel et en réaction à une situation, “il y a le feu, heureusement que mon outil m’a prévenu”, ou bien le Social Listening est utilisé en fin d’année pour un bilan RP. C’est un outil de bilan, de gestion de crise mais il y a trop peu de choses au milieu. Mais ce n’est pas un outil de pilotage. C’est, à mon sens, tout l’inverse de ce qu’on devrait faire.
Je dirais donc que le marché est faussement mature. Les entreprises sont souvent équipées mais ça ne sert pas forcément la stratégie et le business.
Et comment envisages-tu le Futur du Listening dans les prochaines années ?
C’est une bonne question ! Je pense que nous sommes aujourd’hui un peu à la croisée des chemins. Dans les prochaines années, je vois deux options : soit cela devient quelque chose d’accessoire dans les entreprises, soit cela devient un levier stratégique indispensable. La première possibilité, c’est que les acteurs comme Digital Insighters et les grands éditeurs se retrouvent au coeur des décisions stratégiques au même titre que les études, les cahiers de tendances, les planneurs stratégiques. Il y a alors beaucoup de potentiel. La deuxième possibilité c’est que cela devient juste un outil de collecte qui fait de l’alerting et est utilisé pour les rapports annuels et qui sert uniquement des experts comme des Community Managers et les personnes des RP. Ce serait bien dommage, mais c’est un risque…
Le groupe Sitel (le groupe dans lequel TSC fait partie) est mondial et a donc une forte empreinte sur le marché américain. As-tu des insights par rapport au marché anglophone du Social Listening ?
Oui, ils s’en servent beaucoup. Mais il y a deux grandes différences avec la France. La première grande différence, c’est la taille du marché. Par rapport à un marché américain de 330 millions d’habitants, un investissement dans le Social Listening avec des coûts fixes élevés sera plus facilement rentable que dans un marché d’un pays européen.
La deuxième grande différence est culturelle. En France, nous sommes très analytiques dans la réflexion. Le premier réflexe aux Etats-Unis est de se demander s’il y a une solution technologique à leur problème. Le Social Listening a tout de suite un avantage. En effet, avant même de penser aux moyens humains et l’analyse, ils pensent directement à prendre un outil donc cela devient un « must have » très vite.
Ils sont plus “data-driven” aussi ?
Oui ils lancent et ils se disent, “on collecte la matière et on verra le reste après”. La première chose qu’ils commencent à faire c’est d’arrêter d’être aveugle. Le point négatif de cela, ce serait peut-être que la technologie n’est pas utilisée au maximum de ses capacités. Mais ils ont quand même ce réflexe très technologique. Pour eux quand ils tombent sur un problème, ils vont chercher la solution technologique qui répond au problème. Avant de parler du “quoi”, ils vont répondre au « comment”.
C’est quoi ton opinion de l’analyse sur la voix du consommateur, par rapport à cette convergence de data ?
Le vrai problème c’est effectivement la réunification des données qui est un peu éparpillée aujourd’hui. Le Graal ultime pour les entreprises est de savoir comment réconcilier les données du Social Media, avec les données des études marketing, des enquêtes téléphoniques. Ma conviction, c’est qu’au sein du groupe [groupe Sitel], nous avons une chance inouïe avec l’accès à des données très intéressantes via les plateaux de centre de contact et le digital. Et comme nous avons une équipe de planning stratégique, nous disposons aussi des données et des insights marché. Ce qui est très prometteur c’est d’avoir ces trois sources de données pour demain prendre les bonnes décisions. Maintenant la vraie question est de savoir comment structurer, orchestrer et pondérer ces différentes données. Pour ce point, il faut réaliser un travail de data analyst complexe. Comment ne pas être induit en erreur par tout le volume de données disponible ?
Autre question qu’il faut se poser : est-ce qu’il y a un modèle pour toutes les industries ? Ou bien est-ce qu’il y a un modèle par industrie ? Je pense également qu’un enjeu très important est le traitement de données qui viennent des objets connectés. Est-ce que demain les outils de Social Listening sont capables d’aller collecter les échanges qu’il y a pu avoir sur un skill d’Alexa ? Pour moi, le futur du Social Listening est dans l’IoT Listening.
Est-ce qu’on est loin de de l’intégration de la social data avec les autres datas selon toi ?
Oui on est très loin de cela.
Est-ce que tu vois des opportunités aujourd’hui que les marques ne saisissent pas ?
Ce que je pense que les marques ne font pas suffisamment bien c’est de croiser le potentiel du Social Listening avec le lancement des opérations ponctuelles. C’est souvent trop rapidement fait. Il faut se poser la question de comment l’écoute sociale est organisée et se dire qu’elle fait partie des KPIs de mesure. Pour cela, il faut orchestrer l’écoute sociale pour que ce soit mesuré correctement : préparation, pilotage, analyse… Et améliorer le processus en continu.
Quels seraient tes arguments pour convaincre des personnes à faire plus de Social Listening ?
1) Les consommateurs s’expriment plus que vous le croyez. Écoutez-les !
2) Ils s’expriment en volume et à des endroits que vous ne soupçonnez pas. Redécouvrez-les !
3) Le Social Listening pour moi, c’est un outil de démonstration pour montrer que le digital n’est pas le futur mais le présent.
Parfois, tout simplement, le Social Listening permet de dire aux directions qu’il est temps de prioriser certains sujets. La raison est qu’avec le Social Listening, on a factuellement une photo à date des personnes qui parlent du sujet, et souvent en volume. Je pense que le Social Listening peut donc être un élément déclencheur de prise de conscience. Pour les organisations qui ont plus de mal à s’adapter et à changer, il est nécessaire de promouvoir cette prise de photographie avec des chiffres soigneusement choisis à l’appui.
Merci à Geoffrey Boulakia d’avoir répondu à nos questions !
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